Les autorités libanaises doivent cesser de se servir des lois pénales relatives à la diffamation comme d’une arme pour harceler, intimider et attaquer les journalistes et toute autre personne relayant des allégations de corruption dans le pays, a déclaré Amnesty International à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse.

En réponse à une demande d’information d’Amnesty International, la Direction générale des Forces de sécurité intérieure (FSI) a révélé que le Bureau de lutte contre la cybercriminalité avait enquêté sur 1 684 affaires d’injures et de diffamation entre janvier 2019 et mars 2024. Le nombre d’enquêtes a baissé en 2021 et 2022, mais a de nouveau augmenté en 2023 pour atteindre 321 cas, soit le nombre le plus élevé depuis 2019.

Les FSI ont également confirmé à Amnesty International qu’elles demandaient à certaines personnes de supprimer des contenus controversés ou de signer des engagements de non-répétition « sous contrôle judiciaire », ce qui porte atteinte aux garanties d’une procédure régulière et au droit à la liberté d’expression.

« Le nombre de personnes convoquées dans le cadre d’enquêtes pour des accusations liées à la liberté d’expression brosse un tableau sombre du droit à la liberté d’expression et à la liberté des médias au Liban. Il est clair que les autorités recourent de manière honteuse et abusive au système judiciaire comme outil de harcèlement et d’intimidation envers des journalistes, perpétuant ainsi la culture bien établie de l’impunité », a déclaré Aya Majzoub, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

« Les autorités libanaises doivent respecter les obligations qui leur incombent en vertu du droit international relatif aux droits humains, et mettre immédiatement fin aux poursuites engagées contre des personnes et des journalistes ayant simplement exprimé leurs opinions, fait état d’allégations de corruption ou prétendument offensé des fonctionnaires par leurs critiques. Le parquet et les organes de sécurité doivent mettre fin à la mascarade consistant à convoquer des personnes pour des enquêtes au seul motif qu’elles ont exercé leur droit à la liberté d’expression. Il est également temps que le Parlement abroge les lois qui criminalisent l’insulte et la diffamation, et adopte une loi sur les médias qui respecte les normes internationales en matière de droits humains. »

En 2019, le Bureau de lutte contre la cybercriminalité des FSI a enquêté sur 414 plaintes pour insulte et diffamation. Ce chiffre est passé à 434 cas en 2020. Ce pic peut être lié au début de la crise économique au Liban et aux manifestations antigouvernementales nationales qui ont commencé en octobre 2019.

En 2021 et 2022, le nombre de plaintes pour injure et diffamation transmises au Bureau de lutte contre la cybercriminalité a diminué, ce dernier ayant enquêté sur 286 et 211 affaires respectivement ces années-là. Le nombre de cas a de nouveau augmenté en 2023, avec un total de 321 affaires, dont 35 plaintes pour injures. Au mois de mars, le Bureau avait déjà mené des investigations sur 18 affaires de diffamation en 2024.

Les statistiques fournies par les FSI ne représentent pas toutes les enquêtes sur les insultes et la diffamation dans le pays, car d’autres organes de sécurité, notamment le service d’information de la Direction générale de la sûreté générale, la Direction générale de la sécurité d’État et le Renseignement militaire, enquêtent également sur ce type de plaintes. Si la plupart de ces affaires ne donnent jamais lieu à un procès, les enquêtes menées par les organes de sécurité, les engagements de non-répétition obtenus illégalement et la menace de procès pénaux sont eux-mêmes des formes de harcèlement et d’intimidation ayant un effet dissuasif sur le droit à la liberté d’expression et à la liberté des médias.

Source : (Amnesty International – Mai 3, 2024)